Améliorer l’acceptabilité des ZFE-m et identifier des pistes pour accompagner efficacement leur mise en œuvre : telle est la mission confiée à Philippe Tabarot, rapporteur, par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Partout où elles sont instituées, les ZFE-m se heurtent à des crispations et de vives incompréhensions, tant de la part des collectivités territoriales chargées de les mettre en place que des usagers, particuliers et professionnels, dont les mobilités quotidiennes seront affectées par les restrictions de circulation.

Les remontées de terrain ont permis de mettre en lumière de nombreux écueils : accompagnement insuffisant de la part de l’État, caractère financièrement inaccessible de l’offre de véhicules propres lorsqu’elle est disponible, offre de transports alternatifs à la voiture trop modeste… En l’état actuel des choses, la mise en œuvre des ZFE-m risque fort de laisser sur le bord de la route de nombreux usagers, à commencer par les plus fragiles et les plus éloignés des cœurs de ville. Ces craintes ont été exprimées dans nombre des plus de 51 000 témoignages recueillis à travers la consultation en ligne lancée par la mission d’information en avril dernier.

Dans ce contexte, la commission a adopté, suivant la proposition du rapporteur, neuf recommandations articulées autour d’un seul objectif : concilier un déploiement apaisé du dispositif ZFE-m avec la nécessaire amélioration de la qualité de l’air dans notre pays.

QUALITÉ DE L’AIR : DES DÉPASSEMENTS RÉCURRENTS DES SEUILS RÉGLEMENTAIRES, AUXQUELS LES ZFE-M N’APPORTENT QU’UNE RÉPONSE PARTIELLE

La pollution de l’air occasionne ou aggrave certaines pathologies (respiratoires, cardiovasculaires, neurologiques et endocriniennes) et peut réduire l’espérance de vie. Les polluants les plus dangereux pour la santé font l’objet d’une stricte surveillance dans notre pays, notamment les particules fines (PM10 et PM2,5) et les oxydes d’azote (NOx).

Depuis le début des années 2000, la qualité de l’air s’est nettement améliorée en France. Néanmoins, de nombreuses agglomérations demeurent confrontées à des dépassements récurrents des seuils réglementaires de qualité de l’air, raison pour laquelle la France a été condamnée plusieurs fois par le Conseil d’État et la Cour de justice de l’Union européenne.

La ZFE-m constitue un outil pertinent pour réduire la pollution atmosphérique. Pour autant, elle ne saurait devenir l’« alpha et l’omega » de l’amélioration de la qualité de l’air pour trois raisons :

  • si à l’échelle nationale, le transport routier est responsable de plus de la moitié des émissions de NOx (54 %), les ZFE-m ne répondent que de façon limitée à l’enjeu de santé publique soulevé par l’exposition aux particules fines, qui proviennent plus majoritairement d’autres secteurs (logement et, dans une moindre mesure, industrie et agriculture) ;
  • le système de classification Crit’air des véhicules ne prend pas en compte les émissions de particules liées au système de freinage ou à l’abrasion des pneus ;
  • la part relative des différentes sources d’émissions polluantes varie sensiblement d’un territoire à l’autre, ce qui plaide pour une approche globale et territorialisée des politiques d’amélioration de la qualité de l’air.
Lire également :  Transition énergétique en Essonne : un modèle d'efficacité et de sobriété

S’il est trop tôt pour dresser le bilan des ZFE-m mises en œuvre en France, les exemples européens démontrent des résultats contrastés : les ZFE de Bruxelles et Stuttgart ont permis des avancées positives sur la réduction des émissions, alors que Milan semble présenter une situation plus mitigée.

MISE EN ŒUVRE DES ZFE-M : DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES AU PIED DU MUR

Les ZFE-m : des régimes pluriels et une mise en œuvre en ordre dispersé

Héritières de dispositifs créés depuis 2010 (les ZAPA, puis les ZCR), les ZFE-m obéissent aujourd’hui à un cadre juridique complexe, principalement défini par la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019, qui fait coexister des ZFE-m facultatives et des ZFE-m obligatoires, dans les zones où la qualité de l’air est dégradée.

La loi « Climat et résilience » de 2021 a en outre ajouté deux niveaux supplémentaires à cet « empilement » de régimes en prévoyant notamment : a) l’application d’un schéma de restrictions de circulation s’appliquant aux véhicules légers (de moins de 3,5 tonnes) dans les ZFE-m dépassant les normes de qualité de l’air entre 2023 et 2025. D’après le Ministère de la transition écologique, 4 à 5 des 11 ZFE-m déjà créées en application de la LOM pourraient être concernées par ce schéma. b) la création obligatoire d’une ZFE-m dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants avant le 31 décembre 2024.

À ce jour, les ZFE-m sont déployées de manière hétérogène, chaque agglomération fixant son calendrier d’entrée en vigueur des restrictions de circulation, pour tenir compte des situations et enjeux propres à chaque territoire. Certaines agglomérations ont, pour ne citer que quelques exemples, fait le choix d’appliquer des restrictions continues (7 jours sur 7 et 24 heures sur 24), quand d’autres les limitent à certains jours de la semaine ou encore à certains horaires (de 8 heures à 20 heures). Certaines ont décidé de mettre en œuvre des interdictions de circulation avant les échéances prévues par la loi et d’autres non.

La diversité dans la mise en œuvre des ZFE-m complexifie les déplacements d’une ZFE-m à l’autre pour les usagers. Cette situation ne devrait pas s’améliorer compte tenu de l’obligation de création de ZFE-m dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants. À terme, le nombre de ZFE-m sur le territoire métropolitain pourrait presque quadrupler, pour atteindre 43 ZFE-m. Certaines régions devraient ainsi compter 6 ZFE-m d’ici 2025, ce qui pourrait nuire à la lisibilité du dispositif et rendre difficilement supportables les déplacements quotidiens de nombreux particuliers ou professionnels. Afin d’anticiper le déploiement à plus grande échelle du dispositif, une mise en œuvre concertée à l’échelle régionale doit être envisagée (proposition n° 2).

Un accompagnement défaillant de l’État dans la mise en œuvre et le contrôle des ZFE-m

Les ZFE-m sont un outil de santé publique – politique qui relève de la responsabilité de l’État ; leur déploiement par les collectivités territoriales devrait, en toute logique, pouvoir s’appuyer sur un réel accompagnement de l’État. Or, nombre d’agglomérations ont indiqué que ce soutien n’était pas au rendez-vous, les plaçant ainsi de fait en première ligne pour mettre en œuvre ce dispositif.

Lire également :  Lucid Air : Aucun véhicule en Europe avant 2021

Les collectivités concernées regrettent notamment :

  • l’absence de larges campagnes d’information nationales pour sensibiliser le public à grande échelle ;
  • le manque de soutien financier, les moyens déployés dans le cadre du Fonds vert étant nettement sous-dimensionnés ;
  • le retard pris par l’État dans le déploiement de la lecture automatisée des plaques d’immatriculation.

Le déploiement des ZFE-m se heurte à des obstacles majeurs

À court terme, une part considérable des véhicules du parc automobile français est concernée par le schéma de restrictions de circulation concernant les véhicules légers prévu par la loi. Dans l’absolu, les interdictions de circulation devraient concerner environ 13 millions de véhicules particuliers du parc national en moins de deux ans.

Or, le renouvellement d’un tel volume de véhicules dans des délais aussi contraints suppose une très forte accélération du rythme d’évolution du parc observé ces dix dernières années, qui semble matériellement difficile à envisager, compte tenu du coût des véhicules peu polluants notamment. À ce jour, le reste à charge pour les ménages, comme pour les professionnels, reste souvent trop élevé pour permettre un verdissement du parc dans de tels délais.

Dans ce contexte, interdire de la circulation des plus grandes métropoles plus d’un tiers des véhicules qui les traversent quotidiennement, et qui plus est les véhicules les plus anciens, dans un délai d’un an et demi, risque inévitablement de creuser des fractures sociales et territoriales déjà importantes, comme l’ont mis en lumière les résultats de la consultation en ligne conduite par la mission d’information.

En l’état, la mise en œuvre des ZFE-m dans des délais aussi resserrés et sans un accompagnement suffisant est de nature à faire porter la contrainte prioritairement sur les personnes ne disposant pas des moyens d’investir dans un véhicule neuf, ce qui est à l’opposé des objectifs de justice sociale poursuivis par les ZFE-m.

En outre, il est à craindre que les mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la fraude n’aillent pas sans poser de problèmes importants : à titre d’exemple, comment distinguer un véhicule ancien conforme à la réglementation des véhicules de collection d’un véhicule ancien polluant, sur la seule base d’une lecture automatisée des plaques ?

QUALITÉ DE L’AIR : UNE APPROCHE GLOBALE ET TERRITORIALISÉE NÉCESSAIRE

Si la pollution de l’air est en partie liée au transport routier, elle est également due à d’autres sources, comme le chauffage résidentiel ou l’industrie. Par conséquent, la lutte contre la pollution de l’air ne saurait reposer uniquement sur les ZFE-m. Une approche globale et territorialisée est nécessaire pour traiter l’ensemble des sources d’émissions polluantes.

Il est ainsi proposé d’élargir la réflexion sur la qualité de l’air à d’autres secteurs, tels que le logement, l’industrie ou l’agriculture, en vue de mettre en place des mesures adaptées à chaque territoire. Il est également recommandé d’accorder une attention particulière aux zones rurales et périurbaines, souvent négligées dans les politiques de lutte contre la pollution de l’air.

Lire également :  Le Voltra trucks chez Engie ça donne quoi ? 

La lutte contre la pollution de l’air doit également s’inscrire dans une perspective européenne, en renforçant la coopération avec les pays voisins et en harmonisant les politiques de qualité de l’air. La mise en place d’une fiscalité incitative pour les véhicules propres et la promotion des transports en commun et des mobilités actives sont également des leviers importants pour améliorer la qualité de l’air.

ACCOMPAGNER LA TRANSITION VERS UNE MOBILITÉ PLUS PROPRE

Améliorer l’accessibilité financière des véhicules propres

Le coût élevé des véhicules propres constitue l’un des principaux freins à leur adoption par les particuliers et les professionnels. Il est donc nécessaire de renforcer les mesures d’incitation financière pour rendre les véhicules propres plus accessibles, notamment en augmentant les aides à l’achat et en mettant en place un système de prime à la conversion plus incitatif.

Il convient également de développer l’offre de véhicules propres d’occasion, en mettant en place des incitations spécifiques et en favorisant le déploiement de bornes de recharge dans les zones rurales et périurbaines.

Renforcer l’offre de transports alternatifs à la voiture

Pour que les ZFE-m soient acceptées et efficaces, il est essentiel de proposer des alternatives à la voiture individuelle. Il convient donc de renforcer l’offre de transports en commun, en augmentant les fréquences et en développant de nouveaux services adaptés aux besoins des usagers.

Il est également nécessaire de favoriser les mobilités actives, en aménageant les espaces publics pour les piétons et les cyclistes, en développant les réseaux de pistes cyclables et en encourageant l’utilisation du vélo comme moyen de transport quotidien.

ÉVALUER L’EFFICACITÉ DES ZFE-M ET ADAPTER LE DISPOSITIF

Il est primordial d’évaluer régulièrement l’efficacité des ZFE-m afin d’adapter le dispositif et de le rendre plus efficace. Cela passe par la mise en place d’indicateurs de suivi pertinents, la collecte de données fiables sur la qualité de l’air et les émissions de polluants, ainsi que par l’évaluation de l’impact des mesures prises sur la santé publique et sur la mobilité des populations.

Cette évaluation doit être réalisée de manière transparente et indépendante, en associant les collectivités territoriales, les experts scientifiques et les associations environnementales. Les résultats de cette évaluation devront servir de base à l’ajustement des ZFE-m et à l’élaboration de nouvelles mesures pour améliorer la qualité de l’air.

En conclusion, la mise en œuvre des Zones à Faibles Émissions-Mobilité constitue une réponse partielle à la problématique de la pollution de l’air liée au transport routier, mais elle doit s’inscrire dans une approche globale et territorialisée de la qualité de l’air. Il est essentiel d’accompagner la transition vers une mobilité plus propre, en améliorant l’accessibilité financière des véhicules propres et en renforçant l’offre de transports alternatifs à la voiture. L’évaluation régulière de l’efficacité des ZFE-m et l’adaptation du dispositif sont également indispensables pour garantir son efficacité et sa pertinence.

Publications similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *