En effet, les commandes ont augmentés massivement lors du Super Bowl, même si Tesla ne fait aucune publicité ! La marque ne s’est donc pas gênée pour révéler dans son diaporama de résultats que le lendemain du Super Bowl, les commandes ont explosé alors que Tesla n’a pas dépensé un seul dollar en publicité automobile.
Ce qui veut dire que les gens ont regardé les publicités pour les voitures concurrentes et se sont dit « non, je vais prendre une Tesla » ! Une véritable claque pour les autres constructeurs automobiles… Et ça pose question pour l’utilisation plus générale de la publicité économique, notamment pour les véhicules polluants.
A noter : Dès le 1er mars 2022, la publicité pour les voitures particulières neuves sera soumise à de nouvelles contraintes légales.
Vers une interdiction de la publicité pour les voitures les plus polluantes?
Il n’y a pas si longtemps que ça, en 2018, les ventes de véhicules à moteur thermique ont augmenté, selon les chiffres de l’Ademe. Des députés ont directement pointé du doigt les effets néfastes des campagnes de pub menées par les marques automobiles. Pour rappel, cette même année, deux députés avaient déposés un amendement à l’Assemblée nationale pour demander l’interdiction de la publicité pour les véhicules les plus polluants dès 2020.
« À compter du 1er janvier 2020, est interdite toute publicité portant sur des véhicules particuliers dont les émissions de dioxyde de carbone sont supérieures à 60 grammes par kilomètre », mentionne le texte. Pour se faire une idée, cette description sanctionne d’emblée tous les véhicules à moteur thermique qui ne sont pas hybrides, soit presque la totalité du parc automobile français, puisque ces derniers ne représentent que 3.9 % de parts de marché, selon une analyse du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA).
L’objectif était a minima de lancer le débat et de chercher des solutions. Cette vision s’appuyait notamment sur un rapport de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Il y a presque 4 ans, elle avait relevé une hausse des émissions de CO2 des véhicules neufs vendus dans l’Hexagone depuis 2017. Ce sont les SUV (Sport Utility Vehicle) qui remportaient la palme des voitures les plus vendues, représentant 36 % des ventes totales. Problème : ces véhicules lourds sont particulièrement polluants.
Un véhicule neuf = 1.500 euros de pub
Un levier qui pèse très lourd, puisque à elle seule, la publicité automobile représente 3,5 milliards d’euros par an. C’est 10 % du marché publicitaire total, en deuxième position derrière la distribution. Pour Marie Chéron, responsable mobilité à la Fondation Nicolas Hulot, qui a travaillé sur le texte : « Pour chaque véhicule vendu aujourd’hui, 1.500 euros financent la publicité » .
L’idée n’est pas d’interdire, mais de réorienter ces moyens vers des véhicules plus vertueux. A l’époque, pour le député Matthieu Orphelin on venait de perdre dix ans de progrès techniques. Et c’est peut-être toujours le cas car « Tous les gains réalisés sur les moteurs sont annulés par le fait que les gens achètent de plus en plus de SUV. Dans notre modèle de société actuel, la publicité est un levier énorme pour donner envie aux gens d’acheter ».
Une mention sur chaque publicité automobile
Pour Stéphane Martin, directeur général de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), les députés s’y prennaient mal en proposant un texte « opportuniste ». « Le problème est pris à l’envers : il y a d’abord un travail à faire avec l’ensemble de l’industrie. La publicité n’est que le résultat final, elle ne vient que quand il y a des produits ou des services à commercialiser. Il faut arrêter de penser que parce qu’on arrête la publicité, les produits ne seront pas commercialisés », argumentait-il.
« Ce qui est inquiétant, c’est qu’il n’y a aucune évaluation, aucune mesure d’impact, quelle qu’elle soit. Quelle mobilité mettre à la place après la voiture ? Quand on est Parisien, il y a le métro, mais ce n’est pas la France. Il y a aussi besoin de transports », regrettait Stéphane Martin. « Ils n’ont pas non plus évalué les effets que cela peut avoir sur les industriels, sur les journaux, pour qui ce genre de publicité est une ressource importante, sur l’efficacité vis-à-vis des consommateurs. »
A l’époque, même opposition de la part d’Elisabeth Borne, ministre des Transports, qui a barré la route à l’instauration d’une telle mesure : « On a adopté un amendement qui dit que chaque fois qu’on fait une publicité pour une voiture, on doit passer un message pour encourager les transports en commun, les mobilités actives, comme le vélo. C’est mieux », plaidait-elle.
Une loi Evin pour les voitures polluantes évoquée
Une réflexion nécessaire, estime Marie Chéron. Elle dresse un parallèle avec la loi Evin, qui encadre strictement la publicité autour du tabac et des boissons alcoolisées. « On a voté la loi Evin il y a trente ans pour des raisons de santé publique. Aujourd’hui, on a 67.000 morts par an à cause de la pollution de l’air. Il faut une cohérence politique. » Une loi sur ce modèle est attendue…
L’une des propositions retenues par la Convention citoyenne pour le climat
Et justement, l’une des propositions retenues par la Convention citoyenne pour le climat après plusieurs mois de réflexion propose d’« interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de GES [gaz à effet serre, NDLR], sur tous les supports publicitaires ». Mais l’examen du projet de loi a été interrompu par la crise sanitaire. Les consommateurs, eux, semblent prêts. Dans un sondage BVA réalisé pour l’ONG Greenpeace en juin, 65 % des personnes interrogées se disent favorables à une interdiction des publicités pour les marques contribuant le plus au changement climatique comme les avions, voitures, compagnies aériennes…
Mais la difficulté de transposer la loi Evin aux produits polluants est réelle. Notons que si « le tabac est un produit très identifié, largement répandu et dont l’effet en matière de santé publique est avéré et très coûteux pour la société », délimiter les produits qui seraient concernés par l’interdiction s’annonce plus complexe.
Le rapport remis aux ministres en 2019 rejetait donc l’idée d’une interdiction, sauf pour les produits appelés à disparaître à une certaine échéance, comme les voitures diesel. L’État dit préférer la mise en place d’une « information climatique » lors des campagnes. Mais pour les ONG, les mentions légales comme on les trouve déjà dans les campagnes alimentaires ou sur l’énergie – « l’énergie est notre avenir, économisons-la » – ne sont pas efficaces.
Depuis mars 2022, deux nouvelles obligations
Les mesures qui vont prochainement entrer en vigueur étaient prévues par la loi LOM sur les mobilités en date du 24 décembre 2019. Ces mesures viennent d’être concrétisées, deux ans plus tard, par décret publié au Journal Officiel de ce 29 décembre. Un décret qui comporte deux dispositions principales :
La promotion des autres formes de mobilités
A compter du 1er mars 2022, toute publicité pour une voiture neuve devra comporter une mention faisant la promotion des mobilités actives, c’est à dire nécessitant la force humaine (marche ou vélo principalement), ou des mobilités partagées (covoiturage ou autopartage) ou encore des transports en commun. A cette fin, l’une des 3 mentions suivantes devra être présente dans la publicité : « Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo » ou « Pensez à covoiturer » ou encore « Au quotidien, prenez les transports en commun ». La publicité devra également comporter obligatoirement la mention #SeDeplacerMoinsPolluer.
En cas de non-respect de cette obligation, l’annonceur recevra une mise en demeure et risquera une amende pouvant atteindre 50 000€ en cas de non régularisation. L’amende pourra être portée à 100 000€ en cas de récidive. A noter que les faits seront toutefois prescrits au bout de 3 ans et que les amendes ne seront encourues qu’à compter du 1er juin 2022.
Mention des émissions de dioxyde
A compter du 1er juin 2022, toute publicité pour une voiture de tourisme devra également mentionner le taux d’émissions en dioxyde de carbone. Cette disposition est issue de la loi Climat adopté en août dernier.
Rappelons pour mémoire que depuis la Directive Européenne du 13 décembre 1999, la publicité automobile doit préciser la consommation du véhicule en litres pour 100 km et les émissions de CO2 en grammes pour un kilomètre. Enfin, sur le lieu de vente, l’étiquette énergétique est obligatoire pour les véhicules neufs exposés. Au final, la publicité pour l’automobile devient l’un des secteurs parmi les plus encadrés.
Un gros manque à gagner pour les régies publicitaires
Reste à mesurer l’impact économique d’une telle interdiction sur ces publicités qui rapportent gros aux régies publicitaires. Dans le rapport « Publicité et transition écologique » remis aux ministres en 2019, les auteurs rappellent que « la publicité participe au financement des médias » à hauteur d’un tiers pour la presse écrite, et jusqu’à 50 % pour la télévision et la radio. Beaucoup d’entre eux, « en position fragile avec l’explosion numérique, doivent leur survie aux recettes publicitaires ».
Et les industries polluantes visées par les mesures d’interdiction représentent une grosse part de ces recettes publicitaires. En 2019, selon Greenpeace, Réseau action climat et Résistance à l’agression publicitaire, les constructeurs automobiles et les secteurs aérien et pétrolier ont dépensé 5,1 milliards d’euros en communication en France. À lui seul, le groupe PSA Peugeot Citroën a dépensé 1,7 milliard d’euros, dont 915 millions en publicité.
Pas facile pour les régies publicitaires de se débarrasser de ces annonceurs qui pèsent lourd, juste derrière la grande distribution, plus gros annonceur en France. Interrogé dans l’émission La Terre au carré sur France Inter sur le décalage entre la ligne éditoriale de la station et les publicités de voitures qui y sont diffusées, le directeur de la régie publicitaire de Radio France explique que les constructeurs automobiles pèsent près de 30 % du marché sur les antennes du groupe public.
Outre-Manche, le journal britannique The Guardian a franchi le pas en début d’année, annonçant ne plus accepter les publicités d’entreprises « impliquées dans l’extraction de ressources non renouvelables ».