4 milliards d’euros par an investis par Enedis pour le développement de son réseau de distribution en France et les nouvelles solutions de recharge : Tesla Mag avait diffusé la semaine dernière le début d’une interview-fleuve, exclusive, accordée par Pierre de Firmas, le Directeur Mobilité Électrique d’Enedis.
Comme promis, voici la deuxième partie dans laquelle ce haut dirigeant du numéro 1 français de la distribution d’énergie nous explique comment il voit la suite du développement de son entreprise, et notamment dans le résidentiel collectif. Passionnant…
Tesla Mag : Le Tour de France cycliste commence bientôt, c’est un événement sur lequel Enedis est très visible dans la caravane, mais pas seulement…
Pierre de Firmas : Absolument. Je pense qu’Enedis, grâce et avec la mobilité électrique, est devenue assez visible sur le Tour de France, par ce qu’on est engagés dans une transformation de la flotte du Tour, de la caravane en « full » électrique. Nous avons su convaincre les organisateurs. Ce message est bien passé aussi auprès du grand public et nous a donné une certaine notoriété sur le sujet.
Tesla Mag : Et donc Linky aussi. C’est totalement lié à Enedis ?
Pierre de Firmas : Linky, c’est le nom du compteur communicant et c’est aussi le nom du programme de déploiement industriel de ce compteur : 35 millions de compteurs à fin 2021. La situation diverge selon les pays. Dans certains cas, c’est le distributeur qui a la charge du comptage. Dans d’autres, comme le Royaume-Uni par exemple, ce sont les fournisseurs qui ont la charge du comptage. En France, comme dans la plupart des pays, le quasi-monopole de la distribution est une réalité économique. Le secteur de l’énergie en Europe s’est transformé sous la houlette des autorités européennes, qui ont souhaité ouvrir à la concurrence la production d’électricité, puis la fourniture, pour proposer le meilleur prix au client final. Toutefois, le réseau électrique peut être comparé aux réseaux ferroviaires. On peut faire circuler des trains de différentes sociétés sur un réseau, mais il ne s’agit pas de construire plusieurs réseaux. Il y a une notion de monopole naturel, confié à un opérateur dont l’activité est régulée pour s’assurer de son efficacité, au meilleur coût. En l’absence de concurrent, en tant que gestionnaire du réseau de distribution d’électricité, nous nous devons d’être irréprochables. Et la mobilité électrique, vient un petit peu bouger les lignes, ça nous oblige à être plus pédagogues sur les rôles de chacun.
Tesla Mag : D’ailleurs, il faut peut-être clarifier aussi que, du coup, le déploiement de Linky n’a rien à voir avec la mobilité électrique et l’essor de la mobilité électrique. C’était prévu depuis longtemps…
Pierre de Firmas : Ca n’a rien à voir, mais ça a un peu aidé. Le programme Linky, c’est d’abord une directive européenne qui demande aux pays de s’équiper de « smart meters » (compteurs intelligents). La France est sur la bonne trajectoire avec ce programme, et on en est assez fiers à Enedis.
Tesla Mag : Linky, c’est un projet industriel de grande envergure…
Pierre de Firmas : Pour Enedis, c’est une fierté parce que c’est un projet industriel de très grande envergure, on parle de 4 milliards d’euros. Mais il s’est déroulé selon les plans, dans le budget et les délais. Donc, c’est une belle réussite industrielle française. Le compteur Linky, il présente un intérêt parce que quand on dit Smart, qu’est-ce que ça veut dire ? Linky va vraiment apporter, et il le fait déjà, des nouvelles possibilités pour l’usager et pour le distributeur. Ce qui compte, c’est l’usager et le client. Nous, ça va nous aider, par exemple, à réduire le nombre de déplacements de nos techniciens. La relève se fait automatiquement. C’est un avantage pour nous. Mais c’est surtout qu’on assure nos missions de service public avec la même qualité, au moindre coût.
Tesla Mag : Linky permet aussi de mesurer très finement la consommation…
Pierre de Firmas : Il y a une rupture avec Linky, car on peut mesurer très finement et en temps réel. C’est ça le mot magique et on peut mesurer très finement aussi l’injection. Je parlais tout à l’heure de la mobilité électrique. Pour un électricien, un véhicule, c’est une batterie sur des roues. Nous les roues, ça nous occupe moins mais la batterie ça nous intéresse bien : c’est quelque chose qui peut consommer, qui peut stocker et qui peut aussi restituer de l’énergie. Un seul compteur Linky permet de compter la production et la consommation, exactement comme pour les personnes qui ont des panneaux solaires sur le toit de leur maison. Jusqu’ici, on ne pouvait pas, avec un seul compteur, gérer l’ensemble de l’équation énergétique de la maison. Avec Linky, c’est possible. C’est un gros avantage.
Tesla Mag : Avec les compteurs Linky, ça devient aussi encore plus facile de gérer tout le résidentiel collectif, pour Enedis. Et les bornes de rechargement dans les parkings…
Pierre de Firmas : Oui, parce que le distributeur va aussi jusqu’aux compteurs en résidentiel collectif. C’est ce qu’on appelle les colonnes montantes, la partie finale du réseau qui distribue les étages. Ça n’a pas toujours été comme ça. Mais ça fait partie du réseau public de distribution. Alors maintenant, pour ce qui est d’équiper un parking, qu’est ce qui peut se présenter comme solution ? Il y a diverses solutions et d’ailleurs, je vous renvoie à un guide qu’on a publié avec l’Avere. Ce qu’on pense, c’est qu’il faut pousser une solution collective dans un immeuble. Ça parait logique. Il y a plusieurs possibilités. Il y en a une qui est de prolonger encore le réseau public de distribution par ce qu’on appelle une colonne horizontale. Donc, on tirerait un câble, la dérivation de l’immeuble, qui irait au parking. Cette infrastructure, dans ce cas-là, elle est collective, bien sûr, et elle est publique. Ça veut dire que c’est Enedis qui fait les travaux. Et ensuite, qui a la charge de l’exploiter et de l’opérer, comme pour la colonne montante.
Tesla Mag : il y a d’autres solutions collectives ?
Pierre de Firmas : Il y a une autre solution collective aussi, via un opérateur privé. On connaît tous Zeplug et d’autres sociétés. Qu’est-ce qu’ils proposent, eux ? Zeplug met en place un compteur 36 kVA, situé dans le parking, Enedis se charge du branchement. L’opérateur, derrière ce compteur-là, propose à ceux qui le souhaitent une offre qui inclut l’installation des bornes de recharge, l’opération derrière la borne de recharge, etc. Dans ce cas-là, cette infrastructure collective est la propriété de l’opérateur privé et Enedis n’intervient plus derrière le compteur, c’est une autre option. Enedis n’a pas à se prononcer, sur celle-ci plutôt que celle-là, parce que ce qui compte, c’est que le choix de la copropriété puisse se faire et que la copropriété en fonction de sa configuration, choisisse ce qui lui convient le mieux.
Tesla Mag : Vous avez une solution compteur disponible, similaire au Zeplug ?
Pierre de Firmas : La solution entre guillemets « similaire » à Zeplug, c’est celle de la colonne horizontale où il n’y a pas de compteur de tête. Il y a un branchement qui part, et si le voisin de dessus souhaite se raccorder, on va tirer le raccordement et on va mettre un compteur Linky sur votre place de parking pour que vous puissiez brancher votre borne de recharge qui sera installée. Enedis n’installe pas de bornes de recharges. Ce n’est pas notre périmètre.
Tesla Mag : S’il y a un client qui dit oui, je veux une borne électrique, là, vous pouvez anticiper.
Pierre de Firmas : Et c’est tout simple parce qu’on a déjà l’infrastructure collective donc on tire juste la dérivation. On met l’armoire, le compteur et c’est réglé. C’est vraiment le choix de la copropriété. Après, on peut regarder.
Tesla Mag : Les solutions Zeplug, nous y serions favorables si Zeplug permettait à d’autres opérateurs d’installer des bornes de recharge. Sinon, ça verrouille toute la copropriété auprès d’un même operateur…
Pierre de Firmas : C’est l’une des différences. C’est que vous n’avez pas le même statut : dans un cas, vous avez un statut d’infrastructure publique. Dans un autre cas, la copropriété signe un contrat avec un opérateur et il y a les offres de fournitures qui vont avec l’opération de la recharge. Il y a des configurations où ça peut être adapté quand c’est petit, parce qu’il y a aussi une limite à la solution privée en fonction de la taille de la copropriété ou du parking. Parce que derrière un compteur 36 kVA, vous mettez une dizaine de bornes. Vous ne pouvez pas aller tellement au-delà.
Tesla Mag : L’autre point majeur, dont on n’a pas encore parlé, c’est le mode de décision en copropriété…
Pierre de Firmas : Un amendement a été validé par l’Assemblée nationale et le Sénat doit se prononcer à la fin du mois. Il adresse cette question du mode de décision et la question du préfinancement de cette infrastructure collective. Je ne sais pas si vous habitez un immeuble collectif, mais quand on fait partie d’une copropriété, on sait tous qu’en assemblée générale c’est assez difficile de voter des travaux pour un montant significatif qui ne concerne qu’une partie minoritaire de l’assemblée. Donc là, cet amendement semble être intéressant parce qu’il permettrait, même si la route est encore longue, de lever ce frein qui est le déclenchement de la décision alors qu’il n’y a que quelques personnes au départ qui sont prêtes à la prendre.
Tesla Mag : La solution que vous proposez est-elle déjà déployée ?
Pierre de Firmas : Elle existe déjà et elle est en œuvre de façon un peu sporadique. Mais pour le moment, il n’y a pas encore ce décret-là. Donc, il n’y a pas encore un système de préfinancement. Il faut vraiment que la copropriété décide et accepte de financer cette infrastructure collective. C’est aussi une des raisons pour lesquelles ça ne se développe pas tant que ça, parce que les copropriétaires réfléchissent à deux fois, c’est normal. Tandis que l’amendement propose une option de préfinancement par le tarif de distribution. Prenons par exemple une copropriété avec 10 occupants, il y en a un seul qui est intéressé. En fait, en assemblée générale, déjà maintenant, il n’y aurait plus, selon le décret en question, la nécessité d’avoir la majorité absolue. Une majorité simple suffirait. Et deuxièmement, la copropriété n’aurait pas à avancer ce qu’on appelle le reste à charge : 40% de l’investissement est pris en charge déjà par Enedis, les 60% qui restent, c’est ce qu’on appelle le reste à charge. C’est un peu la difficulté et donc, dans les dispositions qui sont en cours d’examen, même si rien n’est encore fait, la proposition c’est de dire qu’on fait quand même les travaux, que la copropriété n’a pas à avancer le reste à charge. Et chaque fois qu’un client ou qu’un résident optera pour sa recharge, on lui fera sa dérivation et il la paiera. Alors là aussi, il y aura des aides, il paiera 50% de la partie B (le reste à charge), mais sa quote-part et seulement sa quote-part. Le tarif de distribution appliqué sur l’ensemble du territoire, finalement, fait office de pré-financeur. Ça c’est la proposition. Il y a aussi une proposition de préfinancement de la solution privée avec la Banque des Territoires, qui propose un mécanisme similaire, mais qui n’est pas lié aux tarifs de distribution. C’est vraiment, à notre avis, un « game changer ». Parce que tout d’un coup, ça peut vraiment déclencher des décisions plus facilement. Aujourd’hui, c’est un peu plus difficile d’aller convaincre les copropriétaires.
Tesla Mag : Que pouvez-vous dire du système des syndics, qui fonctionne pour beaucoup de choses mais pas pour la recharge. Il y a trop de flou, trop de verrouillage, et au final on n’explique pas aux gens qui vont voter, et qui pour la plupart sont âgés. Pour l’instant, ce sont les présidents de conseils syndicaux qui déjeunent avec des opérateurs et ça se fait comme ça, sur un coin de table, c’est d’un autre temps.
Pierre de Firmas : Je ne veux pas me prononcer sur ces acteurs-là.
Tesla Mag : Je comprends, car c’est un sujet sensible. Merci pour toutes ces explications très précises, sans langue de bois, et au plaisir de vous reparler bientôt de la mobilité électrique sous toutes ses formes.
Interview : Armand Taïeb / Photos : DR